La bouteille à la mer
- Par Admin Écocitoyens
- Le 23/01/2014
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LA DÉPÊCHE INATTENDUE
Le temps est gris et mon humeur n’est pas au beau fixe. Je marche en solitaire tout au long de cette plage désertée par les estivants des vacances perdues. Le vent a soufflé fort cette nuit et sur la grève, la mer s’est débarrassée de la frange encombrante dont elle ne voulait plus. J’observe, non sans effroi, cette écume grise où gisent les déchets des populations inciviques.
Çà et là, gisent les immondices révélatrices des comportements humains. Des canettes en aluminium flottent encore dans des trous d’eau où frétillent des alevins prisonniers. Comment faire pour transformer ce désastre écologique en utile alternative… Je pense que j’expédierai un message, une supplique, une main tendue vers une âme ou un cœur qui y sera sensible. Oui, je crois que j’enverrai une bouteille à la mer afin d’avertir et de préserver des naufrages les populations qui n’ont pas encore conscience que la nature est chose fragile.
Je choisirai un jour de gros temps, un de ceux qui vous font monter les marées d’équinoxes jusqu’à l’intérieur des terres. Alors, à la syzygie descendante, je lâcherai le contenu de mon espoir. Le récipient devra être solide pour résister à la pression marine. Le message sera clair, transparent comme le cristal des âmes pures. Je le détaillerai ainsi : « Hommes et femmes de toutes nationalités ce que vous recherchez, vous l’avez en vous. Soyez heureux de ce que vous avez et vous serez bien plus riches. Vous devez tous vous regarder dans les yeux comme des frères. Ce que vous faites à votre ennemi, vous le faites à vous-même. Vous tuez aujourd’hui l’enfant que vous avez été. Pardonnez mais n’oubliez pas. Ne dévorez pas sans vergogne la nature qui survient à tous vos besoins. Pensez à être plus circonspects quand vous abattez des animaux ou que vous arasez une montagne ; un sol stérile n’a jamais nourri personne. »
Je porterai ma bouteille un lundi, en espérant qu’elle touchera une grève le samedi, car les gens seront plus détendus pour en examiner le contenu. Un enfant, peut-être, en jouant sur le sable, la trouvera et ressentira l’excitation de l’explorateur qui vient de découvrir une région inconnue. En fait, ce sera bien un petit bout de terre qu’il tiendra entre ses mains potelées. Il en jouera un instant avec ses amis, shootera nécessairement dedans et là, le message jaillira de la bouteille cassée, comme un génie sortant de sa lampe.
Bien entendu, il ne lira pas cette langue, pas plus que je pourrai parler la sienne. Il avertira ces parents qui bien sûr possèderons Internet et déchiffrerons le message avec un outil de traduction. Ils contacteront alors les dépositaires de l’autorité de la commune, du village, de la ville, que sais-je encore… Il y aura des palabres, des colloques, des séminaires, des réunions d’information. Les journaux, les réseaux sociaux et la télévision s’empareront de l’affaire. Les politiques prendront parti et les religieux se signeront. Des associations du pour et du contre seront créées. L’enfant ayant trouvé le papier fera le buzz sur le web. Une vidéo sera tournée à l’endroit de la découverte. Elle sera vue des millions de fois.
Un débat public sera engagé, car la teneur du texte paraîtra comme une énigme :
-Qu’a voulu dire l’auteur ? On se perdra en conjectures car les mots utilisés dans la construction de la missive ne correspondraient plus à la vie d’aujourd’hui.
-C’est tout juste s’il ne parlait pas d’amour, diront les plus clairvoyants ! Non, ce résumé de périphrases et tout à fait anachronique ! C’est un doux rêveur qui l’a rédigé !
-Peut-être un anachorète dans sa grotte ! Oseront les plus hardis.
-Pourtant, si l’on examine le papier, on se rend bien compte qu’il est contemporain de notre époque, c’est cela qui est troublant, comment peut-on écrire des énormités pareilles à notre époque !
Un expert et un contre expert confirmeront l’utilisation d’un support blanc de quatre vingt dix grammes, généralement utilisé pour les imprimantes.
-Nous ne pouvons en rester là ! Clama l’opposition, qui attendait son heure, mettant au défi le gouvernement de prendre ses responsabilités. Face à la crise imminente, car on craignait la guerre civile, un consensus fut trouvé. Dans les cas les plus graves, on avait recours à l’ultime alternative. Elle ne relevait ni de politique, ni de religion mais d’un conseil de sages, qui pouvait donner un avis très objectif dans les situations les plus conflictuelles.
Ils se réunirent pendant quinze jours. On leur apportait à boire et à manger par un sas et ils n’avaient pas le droit de sortir ou de commenter ces évènements gravissimes. Même leurs épouses ne devaient en aucun cas les faire parler, pas même sur l’oreiller ! Ils étaient comme des jurés à un procès d’assises.
A l’issue du quinzième jour, un porte-parole annonça la grande nouvelle ; les grands éclairés avaient trouvé un compromis. Au vu de l’importance de la déclaration, un jour de congé national fut décrété.
Le plus âgé du groupe s’avança, chancelant, soutenu par les plus jeunes.
-Nous avons longuement examiné ce document dont le contenu illicite est une atteinte à nos bonnes mœurs ! Il s’avère que nous avons eu l’idée de regarder au verso et là, la solution nous crevait les yeux ! Il y était mentionné que, pour que ce message puisse faire le tour du monde, il convenait à chaque pays de le remettre à la mer ! C’est ce que nous allons faire ; ainsi nous nous lavons les mains de ces propos lamentables qui n’honorent pas leur auteur !
Le jour d’après, sur le bord du quai, une foule énorme, assistait, soulagée, au lancer de la bouteille, qui s’en fut comme un bouchon au gré des courants.
Cela dit, j’aimerais, si j’envoyais une lettre à la mer, je souhaiterais que son contenu soit un avertissement, une supplique, mais aussi un espoir, au même titre que la colombe, ramenant dans son bec un rameau d’olivier en signe d’apaisement et de fraternité.
François Veillon
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