« Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » dite Loi Biodiversité
(suite - et ce n’est pas fini)
« La biodiversité nous concerne au premier chef, car la biodiversité c’est nous, nous et tout ce qui vit sur terre. » (Hubert Reeves).
Notre newsletter du mois de mars abordait un projet de loi qui, malgré son titre ambitieux, peine à aboutir. Les débats parlementaires n’en finissent pas (depuis deux ans) ; son adoption définitive était pourtant prévue avant l’été 2016.
Rappel des idées fortes du projet :
- Reconnaître la biodiversité comme une dynamique globale, incluant et interagissant avec la vie humaine, pour mieux l’intégrer dans les processus de décision et d’action ;
- Créer l’Agence française pour la biodiversité, qui regroupera des structures existantes, afin d'améliorer la connaissance, la recherche et les formations, de fournir aux acteurs locaux les données et l’expertise dont ils ont besoin, et de soutenir financièrement des projets de restauration des milieux.
La navette parlementaire :
Depuis mars 2014, deux aller et retour entre l’Assemblée nationale et le Sénat, l’examen de moult rapports de commissions, de centaines d’amendements, n’ont pas suffit aux deux chambres pour accorder leurs violons.
Dans pareil cas, une commission mixte paritaire est chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. Ce fut le cas le 25 mai dernier.
Faute d’accord, les députés de la commission développement durable ont retravaillé le texte en troisième lecture.
Où en sommes-nous ?
« Sursaut positif. Les députés ont réparé les "dégâts"
De nombreuses dispositions supprimées en 2ème lecture par les sénateurs ont été restaurées par les députés.
Concernant les principes généraux du code de l’environnement, on peut citer parmi les évolutions positives :
• la reconnaissance des paysages nocturnes ;
• la reconnaissance du rôle des sols dans la constitution du patrimoine commun de la Nation ;
• la restauration de l’objectif d'absence de perte nette de biodiversité dans la compensation écologique et du principe de non régression du droit de l’environnement ;
• ou encore la restauration de l'application de la solidarité écologique à l’ensemble des territoires.
En termes de planification, le Schéma régional des carrières devra prendre en compte l’ensemble du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires et plus seulement les dispositions relatives à la biodiversité. Par ailleurs, un rapport est exigé sur l’utilisation de la part départementale de la taxe d’aménagement destinée à financer les espaces naturels sensibles.
Concernant l’Agence française pour la biodiversité (AFB), la mission d’évaluation des dommages agricoles par les espèces protégées est supprimée (car elle est déjà réalisée en partie par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage), tout comme la direction commune sur la police prévue entre ces deux établissements.
Dans le domaine de l’eau, il faut saluer la restauration de la compétence des agences de l’eau sur la biodiversité terrestre, pierre angulaire du financement des actions de la future AFB ainsi que la réforme de la gouvernance prévoyant un collège dédié aux acteurs non économiques dans les Comités de bassin. La remise en cause du principe d’effacement des obstacles à la continuité aquatique a heureusement été supprimée.
Enfin, les députés ont interdit l’installation de poteaux creux, mortels pour l’avifaune.
Les marqueurs du projet de loi renforcés
Dans le domaine agricole, les députés ont voté l’interdiction des insecticides néonicotinoïdes au 1er septembre 2018 et un moratoire de 2 ans à partir du 1er janvier 2017 sur les variétés de colza et tournesols rendues tolérantes aux herbicides par mutagénèse (nouvelle technique pour obtenir des OGM).
Du point de vue de la fiscalité, les députés ont rétabli la taxe sur l'huile de palme dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, avec une augmentation progressive jusqu'à 90 € en 2020.
Concernant l’accès et le partage des avantages liés à l’exploitation des ressources génétiques, plusieurs évolutions notables sont à souligner, tel le retour au plafonnement à 5% du chiffre d'affaires pour le calcul de l’éventuelle compensation financière aux communautés d’habitants.
Dans le domaine maritime, le dragage des fonds marins est interdit, sauf si cela est nécessaire aux flux maritimes et les modifications des règles d’opposabilité relatives à la loi littoral sont supprimées. Par ailleurs, l’obligation de conduire des recherches sur le milieu marin lors d'activités autorisées en zone économique exclusive a été adoptée afin de mieux connaître les écosystèmes marins et leur fonctionnement.
Concernant la compensation écologique, les députés ont supprimé la disposition disant que les mesures compensatoires ne doivent pas remettre en cause un projet public et rétabli les objectifs des mesures compensatoires, la non autorisation du projet si ses impacts sont non compensables, et l'obligation de mise en œuvre des mesures durant toute la durée des impacts. Le mécanisme des obligations réelles environnementales a également été consolidé.
Enfin, une rédaction plus étendue et juridiquement plus sûre de la non brevetabilité du vivant a été validée tandis que les zones prioritaires pour la biodiversité et l’espace de continuités écologiques dans les documents d’urbanisme (dans sa version légère), ont été réintroduits.
Des ajustements sur le préjudice écologique et l’article réformant le défrichement
L’article 2 bis relatif au préjudice écologique a été modifié en profondeur. Les députés sont revenus sur la définition du préjudice, issue des travaux de l’Assemblée. Ils ont prévu une ouverture plus large de l’action en justice et n’ont pas prévu, comme le souhaitait le Sénat au cours de sa deuxième lecture, de condition relative au coût manifestement disproportionné de la réparation pour la condamnation au versement de dommages et intérêts. A contrario, l’attribution des dommages et intérêts serait « fléchée » vers la seule réparation du préjudice et le délai de prescription serait ramené à dix ans sans délai butoir. Ces modifications importantes nécessitent bien sûr une analyse juridique approfondie.
Concernant le défrichement, les députés ont supprimé les exonérations de compensation accordées par les sénateurs aux jeunes agriculteurs et aux producteurs de truffes, ce qui est positif pour les forêts françaises. Ils ont, par ailleurs, conservé la compensation par l’État du coût supporté par les collectivités pour la mise en œuvre du dispositif d’exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties en sites Natura 2000. Enfin, ils ont restauré le coefficient multiplicateur de la compensation de certains défrichements, prévu dans certains cas.
Certains problèmes encore non résolus
Une marge de progression encore importante existe sur le texte de loi. En effet, certains principes restant en lice doivent être remis en cause. C’est le cas du principe d’utilisation durable de la biodiversité dont l’application juridique pose de nombreuses questions, et le principe de complémentarité entre l’environnement et certaines activités (agricoles, sylvicoles et aquacoles), qui ne fait aucune distinction entre les pratiques.
Concernant l’Agence française pour la biodiversité, il n'y a toujours pas de conseil d’administration resserré et aucune ressource affectée lui permettant de réaliser l’ensemble de ses nouvelles missions (et non de fonctionner à budget constant).
Dans le même sens, l’article visant les chemins ruraux mérite d’être amélioré dans l’intérêt de l’ensemble de ces usagers. Il faut regretter également le recul sur l’encadrement de la publicité dans les parcs naturels régionaux et l’interdiction des plastiques dans les cotons tiges, repoussée à 2020, sachant qu'elle constituait une avancée notable contre la pollution marine.
Un bilan positif à conserver !
Pour conclure, le bilan est positif pour cette 3ème lecture en commission. Le texte est nettement amélioré, mais encore insuffisant pour lutter efficacement contre l’érosion de la biodiversité.
Ainsi, nous espérons que les députés conforteront ces avancées et iront encore plus loin lors de la séance plénière du 21 au 23 juin. Humanité & Biodiversité et ses partenaires associatifs (FNE, LPO, FNH et ANPCEN) veilleront en ce sens. »
Dernière minute :
Le projet de loi a été adopté par l’Assemblée le 23 juin, assorti de deux grosses reculades : les néonicotinoïdes tueurs d’abeilles seront bien interdits au 1er septembre 2018 mais dérogations possibles jusqu’en 2020, et pas de taxation supplémentaire de l’huile de palme.
Le texte repasse au Sénat mi-juillet, avant un ultime vote des députés qui auront le dernier mot.
À suivre...
Date de dernière mise à jour : 10/04/2018